Quand j'étais petite, je prenais bien soin de ne pas laisser mes pieds dépasser des couvertures de peur que ses doigts longs et grenus se saisissent de mes chevilles et me tirent hors du lit en grognant.
Bien sûr, tous les soirs avant de me coucher, je vérifiais sous le lit, dans le placard et à l intérieur de la malle. Puis, les yeux grands ouverts j épiais les ombres de ma chambre, tout semblait se transformer dans l'obscurité... L'aspect familier des choses, cela même qui me paraissait si rassurant la journée, révélait soudain des formes terrifiantes... À la place du porte manteau, un squelette regardait par la fenêtre, un pull posé sur la chaise du bureau devenait tout à coup un monstre accroupi ! Mais le pire était sous le lit...
Mon ours serré contre ma poitrine je retenais mon souffle, guettant sa respiration, et le moindre frôle ment ou chuintement provenant de sous le lit.
Quand j'étais petite, il était petit aussi, il se nourrissait de mes craintes et de mes angoisses, toutes petites elles aussi.
Maintenant il est trop grand pour tenir sous le lit, ses pieds dépasseraient. Je ne peux toujours pas le voir mais je sens bien qu'il est là...
Il me connaît bien maintenant, il s'est nourri de mes peurs et de mes doutes pendant toutes ces années. La nuit il se tient derrière moi, je sens ses ongles longs et froids courir sur mon crâne comme des ruisseaux gelés. Il me connaît sur le bout des doigts (c'est le cas de le dire, non ?). C'est mon compagnon noir, fait de brume et de cendres... Qui me connaît mieux que lui ?
Il porte toutes mes angoisses, la journée ça me soulage un peu, mais la nuit c'est mon cerveau qu'il dévore, mais lentement, comme une liqueur dont on se délecte...
Parfois c'est moi qui gagne, il ne peut pas m'atteindre et il s'évapore, mais jamais bien loin... Je suppose qu'il est dans le jardin. Parfois c'est lui qui gagne et il laisse dans mes cheveux du brouillard et des cendres que même le jour ne parvient pas à dissiper, alourdissent ma tête et mon esprit...
C'est mon compagnon noir, fait de brumes et de cendres, qui me connaît mieux que lui ?
(Dessin de l'auteur)